Publication « Après le capitalisme », de Pierre Madelin

On appelle cela une synthèse. Un exercice qui laisse toujours le risque d’être trop simplificateur voire de laisser le lecteur intéressé sur sa faim, mais celle-ci fait exception. Pierre Madelin, traducteur spécialisé des thématiques de l’environnement, est un auteur peu connu mais son livre mérite de l’être. Ancien étudiant en philosophie à la Sorbonne, il a grandi à Cuba ainsi qu’à Paris et vit aujourd’hui au Chiapas. Il publie Après le capitalisme, un petit essai qui pourrait apporter de solides fondations pour le développement futur de l’écologie radicale.

Analysant les apports de Castoriadis et de Bookchin autant que de Gorz, Latouche, Illich, Gary Snyder et plusieurs autres, l’auteur passe en revue les différentes problématiques écologiques de notre temps et les relie aux questions sociales et politiques. Le livre fait ressortir le lien direct entre l’anticapitalisme et l’écologie, montrant clairement comment l’un découle de l’autre. On se centre sur l’anticapitalisme, tout en évoquant le changement climatique, la croissance démographique, la relation aux animaux, l’éthique environnementale, la démocratie directe, l’urbanisme, le pacifisme… On le voit, beaucoup de domaines traités pour un livre de poche de 150 pages. Le défi était risqué, pourtant Pierre Madelin parvient à rassembler ces thématiques dans une approche cohérente.

Le capitalisme pour l’auteur ne se trouve pas dans une phase déclinante qui le verra tomber tout seul. Il est en transformation. Il forme aujourd’hui un mal systémique, structurel, dont les causes sont invisibles et sans auteurs précisément identifiables. L’échelle de ses structures et ses ramifications nous dépassent humainement. Il est dès lors très difficile de s’y opposer. « [Seul] des individus éduqués et dotés d’un certain capital symbolique peuvent en prendre conscience, à la différence d’un mal ou d’une injustice visible qui suscite immédiatement des réactions […] » (p.105). L’un des objectifs aujourd’hui, déclare l’auteur, est ainsi de rendre visible le mal, par une réduction de l’échelle « démesurée et incontrôlable à laquelle se déploient nos systèmes énergétiques, alimentaires, productifs et politiques » (p.106) et par l’élargissement des opposants au capitalisme. Pierre Madelin touche juste aussi en rappelant que, phénomène nouveau, le mal écologique nous touche toute et tous, qui que nous soyons et quel que soit notre positionnement sur l’échelon économique et social.

Se plaçant hors-chapelles (même s’il opte au final pour une perspective libertaire argumentée), l’auteur compare les apports des différents penseurs des thématiques abordées, en posant de bonnes questions sur leurs limites. Avons-nous le temps de développer les alternatives avant de dérégler gravement le climat ? Sommes-nous assez vertueux pour nous dévouer pleinement à la chose publique ? Les expériences concrètes menées actuellement au Chiapas (et ailleurs) peuvent-elles avoir une portée universelle ? Faut-il craindre un retour de la violence (guerrière) pré-étatique avec le développement d’unités politiques locales souveraines ? Voilà quelques-unes des questions soulevées, chapitre après chapitre, avec acuité.

Au final, trois scénarios sont envisagés pour la sortie du capitalisme : l’option étatique, « par le haut », débouchant logiquement sur la géo-ingénierie et ce que l’auteur pressent comme un éco-techno-fascisme ; puis une option de prise de pouvoir révolutionnaire et enfin le développement « par l’extérieur » d’alternatives au capitalisme. Néanmoins, si l’auteur plaide pour la dernière, la seule acceptable, il ne cherche pas pour autant à atténuer les difficultés entrevues pour convaincre. Sa conclusion à ce sujet vaut la peine d’être citée de manière extensive :

« Or aucun des scénarios politiques que nous avons envisagés n’est pleinement satisfaisant dans la perspective d’une transition écologique. La voie réformiste, « par le haut », n’est pas convaincante parce que les institutions « démocratiques » et les processus sur lesquels elle repose sont à bout de souffle, parce que l’État qu’elle se propose de réorienter en tenant compte des limites de la Terre a partie liée avec les processus historiques qui ont mené à la crise environnementale. Pour les mêmes raisons, la voie révolutionnaire classique de prise de pouvoir d’État n’est pas crédible, sans compter qu’il n’existe aujourd’hui aucun « sujet de l’histoire » susceptible de la mener à bien, et que les crimes de masse auxquels elle a conduit au siècle passé la rendent de toute façon suspecte. La voie de la diffusion par l’extérieur, « par le bas » et « conviviale », est la seule qui semble possible. […] Mais, indépendamment même des nombreuses questions que ces expériences soulèvent, leur caractère isolé et marginal les condamne à terme soit à l’implosion soit à l’impuissance, car il serait naïf de croire que ces « espaces libérés » puissent se multiplier dans des proportions telles qu’ils en viendraient à se substituer à l’ordre capitaliste. Il n’existe pourtant pas à l’heure actuelle de « quatrième voie », en tout cas pas à notre connaissance, qui permettrait de diffuser à grande échelle les acquis de ces espaces libérés en les intégrant à des nouvelles formes de pouvoir moins hétéronomes.
En outre, les échéances des catastrophes et des dérèglements qui nous menacent sont proches tandis que les changements structurels qu’il faudrait mettre en place pour y échapper exigent du temps. » [p.143-144]

Les similitudes du propos avec avec l’écologie sociale de Murray Bookchin sont nombreuses et justifient de publier cette chronique sur ce site. On relèvera d’ailleurs que Pierre Madelin l’enrichit par plusieurs aspects, en particulier au travers de son chapitre sur la question animale. En grattant bien, on dira quand même que l’approche écoféministe manque à l’appel et que d’une manière générale, les questions sociales liées à l’ordre existant (mariage, travail, argent…) pourraient être plus développées. Il est clair que le livre dans son approche ne pouvait être exhaustif et n’en avait pas le but. Pour tout lecteur cherchant un état des lieux court et actuel de l’écologie radicale, ce titre est à ce jour celui qui paraît le plus pertinent et convaincant. Un livre ressource, simple et complet à la fois, que l’on attendait depuis longtemps.

Pierre Madelin, Après le capitalisme, essai d’écologie politique, éd. Ecosociété, 2017, 150 PP.

CITATIONS :

« Qui plus est, nous pensons malheureusement que la phase « démocratique » de l’État moderne tout comme la phase « re-distributive » du capitalisme sont en train de s’achever, et que les offensives du capital et de l’État contre les droits sociaux et les territoires vont se multiplier, dans un contexte où l’instrumentalisation croissante de la menace terroriste (tout au moins dans les pays concernés par celle-ci) favorisera également la suspension, voire la suppression de nos droits politiques au nom de l’état d’urgence. » (p.39)

« Par conséquent, et symétriquement, aucune classe, aucune culture dominée ne peut prétendre incarner de façon privilégiée la lutte contre le capitalisme. Celle-ci peut et doit être menée par tous ceux et celles, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle, qui se sentent dépossédés par la société dans laquelle ils vivent, ne serait-ce que parce qu’ils se sentent dépossédés de leur vie et de leur présence au monde. » (p.47)

« La transition énergétique, si elle n’est pas accompagnée d’une transition politique, ne fera qu’exacerber les inégalités et les formes de domination existantes. L’écologie politique et le combat contre les nuisances de la société industrielle seront vains s’ils ne se conjuguent pas avec une exigence de justice et d’égalité. » (p.54)

« Il ne s’agit pas de faire des minorités actives des agents d’émancipation de la société aux dépens de la société elle-même, ce qui réactiverait le double fantasme d’une majorité incapable de lutter pour sa propre émancipation et d’une avant-garde éclairée, mais plus modestement de reconnaître leur capacité à rendre visible le mal invisible, ou le mal qui a été occulté, afin que les risques et les injustices qui en découlent soient perçus et finalement combattus par l’ensemble de la société. » (p.140)

« Nous ne sommes pas nécessairement condamnés à choisir entre la « vie liquide » et « l’arrachement » permanent que nous imposent le capitalisme d’un côté et l’enracinement identitaire de l’autre. Il faut sortir de cette alternative infernale et du chantage intellectuel qu’elle institue: si vous n’aimez pas ce monde qui bouge, c’est donc que vous êtes au mieux un plouc ringard, mais plus sûrement un odieux petit réactionnaire, et peut-être même, qui sait, un nazillon en puissance. Le choix ne se situe pas entre l’enracinement et l’arrachement, entre l’ordre supposé immuable de la tradition et le désordre incessant de la modernité, mais entre différentes formes de temporalité et de mobilité. Quelles pourraient être une temporalité et une mobilité libérées du capitalisme, voilà ce qu’il reste encore à inventer. » (p. 126)

« Mais nous pensons que l’Etat moderne est la forme, le pendant politique du capitalisme ; et si celui-ci dépossède les communautés humaines et les individus de leurs moyens de reproduction matérielle et symbolique, l’Etat moderne en confisquant l’exercice du pouvoir et de la souveraineté et en le confinant dans une sphère de décision séparée de la société, prive les communautés humaines de leurs capacités d’autodétermination collective, sans lesquelles il est impossible de s’opposer efficacement aux exactions du capital. » (p.87)

« Il n’y aura pas de sortie du capitalisme sans sortie du régime représentatif, car c’est fondamentalement au nom des exigences du premier que le second s’est imposé. » (p.92)

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