Sortie de « Pouvoir de détruire, pouvoir de créer »

Ce nouveau recueil de Murray Bookchin, paru aux éditions l’Echappée, n’est pas une traduction « fidèle » d’une parution originale de l’écologiste américain. Pouvoir de détruire, pouvoir de créer est plus à comprendre comme une suite à Au-delà de la rareté, publié en 2016 aux éditions Ecosociété. L’ambition était de faire revivre ces textes et de les compléter avec des plus récents. Si Au-delà de la rareté présente ainsi les écrits phares de Bookchin des années 60, Pouvoir de détruire, pouvoir de créer, rassemble ceux qui ont le plus marqué des années 70 à 90. La moitié des articles présentés, dont celui qui donne son nom au recueil, sont néanmoins issus de son ouvrage Toward an Ecological society. Des textes déjà traduits et publiés en 1976 par Daniel Blanchard et Helen Arnold dans Pour une société écologique – un ouvrage épuisé depuis longtemps. C’est en grande partie le fait que ces écrits de qualité n’aient jamais été réédités en français qui a motivé ce projet.

Les textes présentes dans le recueil ont été sélectionnés selon deux critères. Il s’agissait en premier lieu de présenter l’écologie sociale dans sa globalité, c’est-à-dire présenter les principaux domaines sur lesquels Murray Bookchin s’est penché. Les articles ont ainsi une approche thématique : les origines de la crise écologique (« Pouvoir de détruire, pouvoir de créer », « Pour une société écologique »), une description globale de l’écologie sociale (« Qu’est-ce que l’écologie sociale ? »), débat sur la question énergétique (« Crise de l’énergie, mythe et réalité»), une vision critique de l’économie (« Economie de marché ou économie morale ? »), la distinction entre l’écologie radicale et « l’environnementalisme » réformiste (« Lettre ouverte au mouvement écologiste »), la description du projet politique du municipalisme libertaire (« Le municipalisme libertaire, une nouvelle politique communale ? »), une vision critique sur la science et la technologie (« Les ambiguïtés de la science »). Ainsi, le livre permet de faire découvrir aux lecteurs des facettes aujourd’hui encore peu connue de l’auteur. Enfin, il a été privilégié les textes les plus forts et encore pertinents. Il s’agissait de mettre l’accent sur des écrits stimulants, porteurs d’une verve (et d’un rêve) révolutionnaire comme la main de Bookchin en a écrit beaucoup.

Les textes sont accompagnés d’une préface de Daniel Blanchard, qui a rencontré Bookchin à Paris lors des événements de Mai 68 et qui a vécu, avec sa femme Helen Arnold, un an avec lui dans le Vermont. Chaque article est accompagné d’une petite présentation aidant à le contextualiser. Par ce livre, on découvre mieux la vision émancipatrice et les nombreuses propositions pour une société alternative promues par Bookchin. Son écologie sociale ne s’est pas limitée à une proposition politique mais connaissait un spectre très large, évolutif et parfois autocritique également. Le Bookchin des décennies 70-80, qui représentent peut-être les années de la maturité de sa pensée. Un moment opportun pour le rappeler, alors que sa pensée semble ressortir de l’oubli en Europe et en France particulièrement.

Pouvoir de détruire, pouvoir de créer… et peut-être aussi pouvoir d’inspirer. Du moins faut-il le souhaiter.

Vincent Gerber

Extraits

« La conception selon laquelle l’humanité doit dominer et exploiter la nature découle de la domination et de l’exploitation de l’homme par l’homme, et même, plus loin encore dans le temps, de l’assujettissement de la femme à l’homme au sein de la famille patriarcale. A partir de ce moment-là, on considéra de plus en plus les êtres humains comme de simples « ressources », comme des objets et non comme des sujets. Les hiérarchies, les classes, les modes d’appropriation et les institutions étatiques servirent à définir dans l’esprit de l’homme sa relation avec la nature. » (Murray Bookchin, « Pouvoir de détruire, pouvoir de créer »)

« La pierre de touche la plus sûre pour distinguer entre technologie environnementale et technologie écologique ne réside pas dans la dimension, la forme ou l’élégance des outils et des machines, mais bien dans les finalités sociales qu’ils servent, dans l’éthique et la sensibilité qui ont présidé à leur conception et à leur intégration, et dans les défis et les transformations institutionnels qu’ils impliquent. Selon que ces finalités, cette éthique, cette sensibilité, ces institutions seront libertaires ou relevant de la pure logistique, émancipatrices ou simplement pragmatiques, communautaires ou simplement efficaces, bref, écologiques ou simplement environnementalistes, une rationalité toute différente présidera aux intentions et aux techniques mises en œuvre. » (Murray Bookchin, « Les ambiguïtés de la science »)

« A partir des années 1950, cette économie a non seulement colonisé tous les aspects de la vie ordinaire, mais elle a aussi détruit le souvenir des modes de vie différents qui l’ont précédée. Nous sommes tous à présent des acheteurs et des vendeurs anonymes, y compris des maux dont nous souffrons. Non seulement nous achetons et vendons notre force de travail sous ses formes les plus subtiles, mais nous achetons et vendons nos névroses, notre anomie, notre solitude, notre vide spirituel, notre intégrité, notre manque d’estime de soi et nos émotions, tels quels, à des gourous, à des spécialistes en « bien-être » mental et physique, à des psychanalystes, à des ecclésiastiques de tous bords et, au bout du compte, à une armée de bureaucrates du monde de l’entreprise et de l’administration, qui ont fini par devenir la chair et les nerfs véritable de ce que nous appelons par euphémisme « société ». » (Murray Bookchin, « Economie de marché ou économie morale »)

Murray Bookchin, Pouvoir de détruire, pouvoir de créer, éd. L’Echappée.

Choix des textes, traduction et révision par Helen Arnold, Daniel Blanchard, Renaud Garcia, Vincent Gerber.

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